Outre la simple curiosité intellectuelle, une bonne raison de s’intéresser à l’histoire des mots, c’est que ça vous permet d’accroître votre vocabulaire, et d’améliorer votre orthographe. Ainsi, certaines expressions en français sont écrites d’une façon qui est tout sauf instinctive. Mais si vous connaissez l’histoire de ces expressions, vous vous apercevrez qu’en fait, c’est parfaitement logique.
Au temps pour moi
Beaucoup de gens écrivent ça ainsi : autant pour moi. Et ça se comprend. On utilise cette expression pour dire, « je me suis trompé et je l’accepte » et donc quoi de plus naturel que de comprendre ce « au temps » comme « autant », une façon de quantifier son erreur, « autant d’erreur commise par moi ».
Sauf que l’histoire de cette expression, ce n’est pas du tout ça. En fait, elle remonte aux exercices militaires où l’on comptait les temps — comme on le fait toujours pour la danse. « Au temps ! » voulait alors dire qu’il fallait revenir au temps initial pour recommencer quand on s’était trompé dans ses mouvements.
À cor et à cri
Cette expression est souvent orthographiée faussement elle aussi : « à corps et à cri ». Peut-être par analogie avec d’autres expressions comme « à corps perdu » ou alors parce que le cri est un truc physiologique qu’on relie instinctivement au corps, ou encore tout simplement parce que corps est un mot qu’on utilise beaucoup plus que cor.
Pour ne plus faire la faute, il suffit de se rappeler de l’origine de cette expression. Elle vient du monde de la chasse : on chassait avec un cor de chasse, et avec des chiens qu’on dirigeait à la voix : à cri. C’était donc un type de chasse bruyant, mais aussi assez énergique, idée que l’on retrouve bien dans l’usage moderne de l’expression.
Le drôle de p de corps
Mais puisque nous en sommes là, on peut s’arrêter un instant sur l’orthographe du mot corps. C’est un de ces mots caractéristiques des difficultés du français pour ceux qui l’apprennent comme seconde langue et ne comprennent pas pourquoi on ne prononce que trois lettres sur cinq. La raison en est bien sûr étymologique : corps vient du latin corpus, et même si on ne prononce plus la terminaison, notre orthographe garde une trace de l’histoire de ce mot. Sauf que… au Moyen Âge, on écrivait cors. Alors, pourquoi ce p qui a l’air de ne servir à rien ? Il date du XVIème siècle, le moment où on commence à s’intéresser à la langue française en tant qu’elle-même et non plus comme simple moyen de communication — c’est l’époque de Défense et illustration de la langue française de Joachim du Bellay. Et un moyen de montrer que le français est une langue noble, c’est de se raccrocher à ses précieuses origines latines. Et pour ça, on les rend évidentes en réintroduisant dans l’orthographe des lettres qu’on ne prononce plus depuis longtemps.
L’orthographe évolue
Ainsi, dans le Dictionnaire francoislatin (1549) de Robert Estienne, corps a retrouvé son p. En 1635, Richelieu crée l’Académie française dont les vues sont les suivantes « généralement parlant, la Compagnie prefere (sic) l’ancienne Orthographe, qui distingue les gens de Lettres d’avec les ignorans (sic) » (cité par Henriette Walter dans Le Français dans tous les sens). Rien d’étonnant, donc à ce qu’ils aient choisi de conserver le p de corps, et que l’orthographe actuelle compte autant de lettres muettes.
Alors quand l’Académie propose aujourd’hui de simplifier notre orthographe en supprimant des trucs « inutiles », on est nombreux à se récrier que c’est moche, affreux et que rien à faire, on n’écrira pas « oignon » sans le i. Non mais franchement. Ognon. N’empêche que. C’est cette même Académie qui a réinstallé des lettres inutiles dans notre orthographe, alors au final, proposer d’en supprimer certaines, c’est peut-être pas si stupide.
Enfin, j’ai beau dire, j’utilise quasi exclusivement l’orthographe traditionnelle plutôt que l’orthographe réformée de 1990, hein.
NB : Le correcteur orthographique de Google Chrome souligne « ognon », pourtant, je vous assure, c’est juste.
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