Écrire pour vivre, ou vivre pour écrire ?

Écrire pour vivre, dans le sens “vivre de son écriture” est une question que les auteurs en herbe se posent terriblement souvent. “Est-ce que j’écris assez bien ? Est-ce que je pourrais, moi aussi, écrire un (ou plusieurs, soyons fous !) bestsellers ? Est-ce que je pourrai un jour en vivre ?”

Assez tristement, la réponse à ces deux dernières questions est presque toujours “non”. Bien sûr, il y a des façons de promouvoir ses écrits, de les mettre en valeur, de les vendre, pour parler franchement. Mais avant d’en arriver là, je voudrais qu’on commence par la base. Avant de se prendre pour J.K. Rowling, je voudrais qu’on se demande comment écrire. Pour publier quelque chose de correct, il faut forcément en passer par là (sauf si on s’appelle Maxime Chattam, mais gardez à l’esprit que les intrigues bien ficelées ne font pas toujours un bon écrivain.)

Un des meilleurs conseils qu’on pourra vous donner serait : “Écris tous les jours.” Et selon moi, le pire conseil que vous pourriez respecter serait : “Ne fais que ça.”

Pourtant, c’est tentant. Allez, qui ne l’a jamais souhaité ? Toute la journée devant son ordi, tranquille peinard, à tapoter sur son clavier sans se soucier de rien, ni aller au travail. Le rêve. Mais est-ce que c’est si bon que ça pour la qualité de ce que vous écrivez ? Possédez-vous assez de matière créative brute pour vous passer d’une vie à l’extérieur, où vous voyez du monde, où vous entendez des histoires ?

Je vais me calmer avec mes questions rhétoriques et expliquer clairement mon avis : non, je ne pense pas que ce soit possible de créer quelque chose de qualité sans jamais sortir de chez soi. Je pense que le processus créatif qui précède l’écriture nécessite que l’on fasse sans cesse l’expérience de nouvelles choses.

Pour moi, les idées viennent souvent quand je traverse un lieu particulier, je pense notamment à une rue sur mon chemin entre chez moi et la gare où je dois me rendre chaque matin. À chaque fois que je passe dans cette rue, je pense à une histoire en particulier qu’elle m’a inspirée, et à chaque passage, l’histoire devient un peu plus complexe. J’imagine de nouveaux détails, de nouvelles ramifications au sein du récit, je tourne une scène précise dans tous les sens. Passer là tous les jours me permet de travailler mon récit quotidiennement, sans forcément m’asseoir devant mon fichier de texte.

Mais on peut aussi s’inspirer de ce qui existe déjà. C’est bien connu, on n’invente plus rien, et ce depuis la nuit des temps. On ne fait que broder et réinventer avec notre voix des fractions d’histoires que nous ne pouvons pas avoir inventées de toutes pièces. Alors pourquoi ne pas puiser directement dans la vie réelle pour nourrir vos histoires ? Rien ni personne ne vous oblige à réutiliser ces sources d’inspiration telles quelles. Lorsque j’avais dix ans, je prenais le soin de chercher dans le calendrier des prénoms qui n’étaient portés par absolument personne de ma connaissance, de peur que les gens croient que je les avais intégrés à mes histoires. Déjà, mes personnages s’appelaient assez vite Eugénie et Prosopopée (après avoir épuisé le calendrier, j’étais passée au dictionnaire. On n’arrivera jamais à expliquer aux nouvelles générations la vie sans internet.)

Aujourd’hui, j’ai changé de tactique : je mélange tout. Je prends toutes les idées qui m’intéressent et me font vibrer, je mets tout sur un grand canevas (figurativement) et j’essaie de les relier à d’autres choses que j’ai déjà en magasin, je construis des ponts, je reviens modifier un détail, puis un autre, j’insère en cours de route un élément d’une conversation que je viens d’avoir, saupoudré d’un peu d’un souvenir qui me semblait aller avec. À la fin, je secoue tout très fort, et je me retrouve avec la feuille de route d’une histoire. À partir de là, je me lance dans l’écriture, et il y a énormément de chances que ça n’ait plus grand-chose à voir avec les sources “pures” de mon inspiration.

Voilà pourquoi je pense qu’un des conseils d’écriture les plus précieux reste de vivre au moins autant qu’on écrit. L’écrivaillon en chacun de nous affectionne particulièrement le confort moderne d’un bureau éclairé, chauffé, confortable, avec un contact minimal avec l’extérieur et des sources infinies d’information grâce à Wikipédia, Youtube et consorts. Ces sources existent et ce serait stupide de s’en priver. Ce serait très hypocrite de ma part de soutenir le contraire : j’ai assisté le mois dernier à un MOOC (un cours d’université en ligne gratuit) sur la médecine légale, un petit fantasme pour beaucoup d’auteurs qui ne peuvent pas tous se payer un master 2 spécialisé mention médico-légal.

Par contre, il ne faut pas se limiter à ces sources. Pour faire vibrer vos textes, il faut vibrer vous-même, et pour ça, il faut se salir les mains. Marchez pieds nus dans l’herbe. Restez debout sans bouger sous la pluie pendant une minute entière. Regardez les gens dans les transports, dévisagez-les, demandez-vous si vous ne pourriez pas obtenir une super description de personnage en mélangeant les visages de deux personnes assises près de vous dans le wagon. Prêtez attention aux voix et aux intonations. Enregistrez l’attitude et la personnalité des gens qui vous entourent. Intéressez-vous aux autres pour pouvoir donner des professions variées à vos personnages. Écoutez les gens vous parler de ce qui les intéresse.

La meilleure base du récit de fiction, ce sont des morceaux de réalité.

9 réflexions sur “Écrire pour vivre, ou vivre pour écrire ?

  1. Article très juste sur un point rarement abordé sur le sujet de l’écriture et auquel j’aggrée grandement. Ca vaut le coup de le rappeler. ^^

  2. Prosopopée ! XD
    Entièrement d’accord, il faut vivre des choses. L’inspiration vient à des moments souvent bien inattendus… ça ne se décide pas. Le mieux est d’enchaîner les expériences diverses et variées, de donner du grain à moudre à son inconscient.

  3. En gros, je suis d’accord et je fais pareil. Mais je me suis également heurtée à un problème : vivre OU écrire. Personnellement, à mon grand regret, je n’arrive pas à faire les deux ; les journées ne font que 24 heures. Ou alors, justement, le seul moyen d’arriver à garder un certain équilibre entre les deux est d’avoir la possibilité de ne pas travailler du tout à côté. Parce que travail + vie sociale, ça remplit déjà l’emploi du temps à saturation. Ou bien, c’est moi qui suis ultra-lente dans toutes mes entreprises… C’est possible aussi. Bref, tout cela m’a amenée à conclure que, peut-être, on peut s’en sortir en alternant des périodes de « vie » et des périodes d’écriture, à défaut de pouvoir mener les deux de front. Durant mes années d’études, j’ai presque totalement arrêté d’écrire, mais j’ai vécu des tas d’aventures pittoresques et étranges qui m’inspirent encore aujourd’hui. J’aimerais pouvoir dire que je suis maintenant entrée dans la phase inverse, mais… disons au moins que j’y travaille ! 😉

  4. Je ne peux qu’approuver… même si c’est parfois difficile de mener de front travail + vie sociale + écriture + lecture + éventuels centres d’intérêt… mais j’alterne, j’alterne, j’essaye de trouver un équilibre !

  5. Il est très facile d’écrire des morceaux de choses vues, vécues ou rêvées. Mais il est beaucoup plus difficile de construire un cheminement long (plus de 100 pages) qui se tienne et tienne le lecteur en haleine.

  6. Pingback: 3 conseils pour trouver l’inspiration | Métafaure
  7. Cela dépend du type d’intelligence, de sensibilité et d’imagination. Je pense que vous vous basez sur votre propre fonctionnement et le généralisez.
    Certains esprits ont, au contraire, besoin de s’abstraire et vont chercher une toute autre nourriture que celle du quotidien. Je pense à Pessoa, K.Dick, etc… Heureusement il n’y a pas de règles et pas d’uniformité dans l’écriture et le registre du réel bien connu n’intéresse pas tout le monde. En revanche, pour la santé mentale et le bien-être, vos prescriptions semblent bienvenues. C’est évident qu’il vaut mieux ne pas s’isoler, avoir un rôle dans la société et éviter les comportements obsessionels.. mais l’imagination de certains s’approvisionne loin de tout ça.

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