J’avais lu il y a quelques temps La valse des sentiments, le premier livre de Marie Lerouge paru chez HQN. Ça m’avait plu, du coup, comme on me proposait de chroniquer son nouveau roman, Le choix de Pénélope, je me suis empressée d’accepter. Je suis cependant un peu plus mitigée sur ce livre.
L’homme assis et la femme-oiseau
De ce que l’auteure en disait, je pensais que ce serait une romance centrée sur le handicap du héros et les difficultés qui en découlent. Or j’ai eu l’impression qu’on restait toujours à la surface du sujet. Pas que ce soit jamais abordé, hein : c’est là pour la première nuit d’amour des protagonistes, le fait que Simon voyage difficilement… Mais je sais pas, il manquait quelque chose pour que je ressente vraiment sa condition. La plupart du temps, je l’oubliais — c’était peut-être le souhait de l’auteur, me direz-vous. Et puis j’ai trouvé que l’euphémisme « homme assis » revenait un peu trop souvent, qu’il poétisait un peu trop un truc qui l’est pas des masses.
En fait, j’aurais compris s’il avait été employé exclusivement quand on est du point de vue de Pénélope, parce que c’est ainsi qu’elle le voit : non pas une personne handicapée, mais simplement un homme qu’elle aime et qui se trouve être assis. Fort bien. Mais du coup, comme l’expression revient alors qu’on est du point de vue d’autres personnages — j’ai souvenir que c’est le cas avec le père de Pénélope, notamment — jai trouvé que ca en perdait un peu de sa force.
J’ai eu un peu le même sentiment avec les symboles : les couleurs, l’oiseau, l’arbre… C’était un peu trop martelé tout au long du roman et du coup ca en perdait en subtilité, on finissait par se lasser, alors que distillé un peu plus parcimonieusement, ca aurait pu être très intéressant.
Des personnages passionnés
Les personnages, maintenant. Je dois dire qu’ils ne m’ont pas vraiment convaincue, parce qu’ils avaient tous la même caractéristique : celle d’être trop extrêmes. Un personnage qui a des réactions extrêmes, admettons, et on compte sur les autres personnages pour le calmer, le ramener un peu à la réalité. [Il va y avoir quelques spoilers à partir de maintenant, ils seront écrits en blanc sur blanc, il suffit de surligner le texte pour les voir.]
Par exemple, que Simon, dans un accès de rage et désespoir amoureux lacère une de ses oeuvres, pourquoi pas. Ça colle avec l’idée qu’on peut se faire de l' »artiste maudit », trop passionné, plein de feu. Mais il y a une accumulation de ce genre de réactions « extrêmes » : Pénélope qui jette tous ses travaux pour sa thèse dans une rivière ; Sandra qui quitte son amant apparemment sur un coup de tête au téléphone ; ledit amant qui fait le voyage Paris-New York pour la voir, mais qui n’appréciant pas la façon dont l’amie de sa copine lui parle, repart sans avoir vu la personne qu’il était venu voir ; l’ex de Simon qui prend la fuite sans l’avoir vu ni lui envoyer le moindre message après son accident ; Pénélope qui s’enfuit et jette son portable à la rivière (encore) après avoir vu Simon embrasser une autre femme, sans chercher à avoir la moindre explication ; le fiancé de Maud qui rompt avec elle de façon très brusque également… Bref, aucun personnage dans ce roman ne semble réagir posément, réfléchir deux secondes aux conséquences de leurs actions. Tout a toujours l’air de se passer sur un coup de sang. Et les autres personnages ne sont jamais réellement choqués par les attitudes extrêmes des autres : par exemple Sandra balaie d’une plaisanterie le fait que Pénélope ait balancé sa thèse à la flotte, au lieu de montrer de l’inquiétude, de l’incompréhension, ou que sais-je. Et au bout d’un moment, ça ruine ma suspension d’incrédulité, ça me fait sortir de l’histoire.
En plus, y a eu d’autres trucs que j’ai eu du mal à trouver crédibles : le fait que Pénélope, en train de finir sa thèse pour devenir archéologue, se rende compte sur un chantier de fouilles que ça la branche moyen de déterrer des ossements et qu’elle préfère lézarder au soleil que s’enfermer dans un trou dans la terre. Bon, d’un certain côté, ça rend plus crédible son pétage de plombs-thèse au fond de la rivière. Mais quand même, j’ai du mal à croire qu’on se lance dans un truc aussi ardu qu’un doctorat sans avoir pris le temps de se demander si on aimait vraiment le sujet. La relation entre Maud et son fiancé, aussi, m’a fait pas mal tiquer : c’est au moment où il rompt avec elle qu’elle se dit (je paraphrase) « ah mais en fait, ce n’est pas juste un banquier froid et insensible, j’aurais peut-être dû m’intéresser plus à sa personnalité avant ». Bah, ça me choque vachement, ça, qu’on se fiance avec quelqu’un qu’on connaît pas vraiment et que ça ait l’air normal.
Structure originale
C’est pas facile d’écrire une critique d’un roman qui nous a laissé mitigé, parce qu’on a beaucoup plus tendance à appuyer sur les défauts, sur ce qu’on aurait aimé voir traité autrement, que sur ce qui nous a plu et semble en quelque sorte, « aller de soi ».
Je vais quand même essayer.
J’ai aimé la structure du roman, le fait qu’on soit pas tout à fait dans le schéma d’une romance classique, mais qu’il y ait en quelque sorte un happy end au milieu du roman, suivi de nouveaux rebondissements, et sans vraiment spoiler quoi que ce soit je pense — on est dans une romance après tout — un happy end à la fin.
D’ailleurs, les rebondissements en soi, c’est un plus. Le rythme est très soutenu, on ne s’ennuie pas.
J’ai aimé que même si elle a un coup de foudre pour Simon, l’héroïne ne se précipite pas dans ses bras, et prenne le temps de vivre d’autres choses d’abord. Toute la partie à Lisbonne m’a plu pour cela : j’ai trouvé réaliste que même si elle continue à penser à Simon, elle se pose des questions, elle essaie d’autres directions. Et puis justement, le fait que leurs sentiments se renforcent pendant cette période, via mail et photos, ces messages si courts qui veulent dire si longs, j’ai trouvé ça très doux, une espèce de romantisme moderne qui fait envie.
Ensuite, même si j’ai critiqué les personnages qui ne me paraissaient pas toujours crédibles dans leurs emportements, c’est néanmoins une belle galerie que nous propose là Marie Lerouge qui a su ne pas enfermer son texte dans le fil unique de la romance, mais au contraire multiplier les intrigues parallèles. J’ai apprécié aussi que l’auteure ne tombe pas dans un des travers courants des romances, qui est de faire des amoureux « concurrents » aux deux héros des personnages détestables afin de forcer la sympathie des lecteurs pour le couple choisi par l’auteur. Alors qu’ici, on se prend de compassion pour l’ex de Simon et on espère que elle aussi parviendra à connaître une happy end. Même chose pour Sébastien.
Dépaysement assuré
Quant à l’univers du bouquin, les galeries d’art, les chantiers de fouille et les ateliers d’artiste, j’ai trouvé ça très chouette. Comme dans La valse des sentiments, Marie Lerouge arrive à nous faire sentir la passion de ses personnages, à nous immerger dans leur monde, et ça, c’est cool. Et puis on voyage. De Lisbonne à Québec en passant par Paris et New York, ça en met plein la vue. J’ai notamment beaucoup apprécié la dernière partie du roman, en mode road trip avec référence assumée à Kerouac. Avec ses rencontres imprévues, la poésie de la route, et la tension émotionnelle entre les divers protagonistes, c’est sans doute la partie que j’ai préférée.
En conclusion, je dirais que si vous êtes intéressé par le thème du handicap dans une relation et que vous lisez ce roman pour ça vous risquez, comme moi, d’être un peu déçus. Par contre, si vous aimez la romance, l’aventure, les voyages, et que vous n’avez pas peur des personnages un peu excessifs parce que vous aimez bien rêver et peu importe si c’est pas exactement comme ça qu’on réagirait dans la vraie vie, alors allez y, foncez ! Vous passerez un très bon moment de détente.