Pour ce deuxième épisode de notre rubrique Étymologie, nous allons rester dans le domaine de l’écriture, puisque j’ai décidé de m’intéresser au mot auteur.
Déjà, si on consulte le dictionnaire (en général, je me réfère au Trésor de la Langue Française, qui est super complet et en plus a l’avantage d’être disponible en ligne gratuitement), on a la surprise de constater que le sens qui nous intéresse, « Celui ou celle qui, par occasion ou par profession, écrit un ouvrage ou produit une œuvre de caractère artistique » n’est que le deuxième. Le premier sens du mot auteur, selon le TLF, c’est plutôt « Celui ou celle qui est la cause première ou principale d’une chose », soit l’instigateur, le fondateur, le créateur. Alors certes, il n’y a pas très loin de « auteur (de livres) » à « créateur », mais on se serait plutôt attendu à ce qu’une expression comme « auteur de mes jours » pour désigner un parent soit un usage métaphorique dérivé du sens « auteur de livres », alors que le TLF donne cet exemple sous le premier sens « cause principale d’une chose ». C’est donc le sens « auteur de livres » qui apparaît comme une dérivation du sens premier « instigateur, fondateur… »
Pour mieux comprendre tout cela, faisons donc un tour du côté de l’étymologie. « Auteur » vient du latin auctor qui avait le sens de « instigateur, fondateur, auteur », mais aussi de « conseiller ». Mais bien sûr, on peut aller plus loin : auctor est dérivé du verbe augere, « faire croître, augmenter ». L’auteur est donc « celui qui augmente »… Cela vous laisse sceptique ? L’idée derrière cela, c’est que chaque auteur apporte sa pierre à l’édifice et augmente de sa contribution la somme globale des connaissances. Par ailleurs, « auteur » a la même origine que « autorité » : auctoritas en latin dérive également de augere, augmenter. Ici, l’idée est que celui qui détient l’autorité augmente l’efficacité, la valeur d’un acte (juridique, par exemple). Auteur et autorité ont longtemps été liés, et aujourd’hui encore on peut dire d’un auteur qu’il « fait autorité dans son domaine », par exemple.
Mais pour Émile Benveniste, linguiste spécialisé dans la grammaire comparée des langues indo-européennes, rapporter « auteur » et « autorité » (mais aussi « augure » et « augustin ») à l’idée d’augmenter n’est pas suffisant. En indo-européen, la racine aug- désigne la force, notamment la force divine. Alors, est-il possible que augere en latin ait eu un sens plus fort que simplement « augmenter » ? Augere, augmenter, c’est accroître ce qui existe déjà, mais dans un sens plus ancien, c’est produire ce qui n’existe pas encore. Augmenter le réel, c’est créer.
L’auteur est donc un créateur. Tout comme le Créateur avec un C majuscule, il donne vie à ses personnages et jouit, au sein de sa création, d’une autorité divine.
Pour aller plus loin sur ce sujet, je vous conseille cette leçon d’Antoine Compagnon : Généalogie de l’autorité.